extrait
Le Sniper : Bonjour Sarajevo. Ravi de faire ta connaissance. Je ne t'imaginais pas comme ça. Je ne sais pas ce que j'imaginais. La ville. Nous autres, campagnards, on s'imagine toujours que la ville, c'est quelque chose d'extraordinaire. Je te croyais plus grande, plus impressionnante. T'es pas si grande que ça. De là où je suis, j'ai l'impression de te tenir toute entière dans ma paume. Je crois qu'on va s'aimer. T'es faite à ma mesure. Tu tiens dans mon viseur. T'es belle, illuminée comme ça, zébrée d'éclairs de tirs, dans la nuit. T'es belle, Sarajevo. Je t'aime déjà. Je viens d'arriver et je t'aime déjà. On m'a donné cette place, la meilleure, ils m'ont dit. Les meilleures places, pour les meilleurs tireurs. J'ai toujours été bon. Petit déjà, à la foire tzigane, chez moi. À onze ans, on m'a interdit le stand de tir. J'étais trop bon. Je dégommais tout, j'embarquais tous les lots, il ne restait plus rien pour les autres. Après, dans la Légion, j'étais un des meilleurs. J'aimais pas la Légion. La hiérarchie, les ordres, le travail de groupe. C'est pas pour moi. Je suis un franc-tireur dans l'âme. J'aime les rapports privilégiés. Pas d'ordres, pas de règles. Toi et moi. Et mon viseur entre nous.
note de Sonia Ristic
J'aimerais que les personnages se découpent en ombres chinoises sur un rideau de voile blanc. Que ce rideau soit un écran froissé, et que peut-être, des images d'archives y soient projetées. J'aimerais y retrouver les rues de Sarajevo, d'avant la guerre, et que ce soit le printemps. Je voudrais une fanfare tzigane et des rires. Des verres qui s'entrechoquent, des éclats de voix, et peut-être même une ronde. Je voudrais entendre des cloches et l'appel du muezzin. J'aimerais une fête du tonnerre de Dieu, une fête si folle que même une sirène d'alerte aérienne passerait inaperçue.
Sniper avenue est une très belle pièce où chaque personnage porte en lui de vraies questions et une dignité humaine qui font que la vie en communauté continue à avoir un sens. L’auteur ne donne pas de réponse mais montre des êtres, victimes de l’incompréhension et de l’ignorance générale. La pièce pose des questions au monde extérieur qui serait comme dans l’incapacité de faire siennes les douleurs des autres, des étrangers. Mais Sonia Ristic n’en reste pas là, elle dessine la force de la vie dans son combat contre une mort annoncée. Ses personnages maintiennent l’architecture d’une société qui ne doit pas disparaître, il y a toujours une croyance en l’Homme. Malgré le désastre et la cruauté, un espoir subsiste dans la simplicité, dans le non renoncement d’une famille. L’auteur inscrit la nécessité d’une musique tzigane, d'une fête encore possible qui serait plus forte que la violence. Une musique qui induit un temps scandé avec force, comme un repère artistique dans la forme du discours. Le fond est traité par une forme qui propose des instants de parole distincts : à la fois des dialogues dans un temps présent et des récits dans un espace poétique et/ou symbolique : comme un mur ou un tunnel. Il y a aussi beaucoup d’humour dans cette pièce et c’est peut-être cela qui lui donne une grâce particulière ; à l’inverse de l’ironie, l’humour permet un retour sur soi, une possibilité de recommencer.
avis du comité de lecture Beaumarchais
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